C’est moins de deux mois après la sortie du premier que se dévoile le second film de Steven Spielberg à paraître cette année. Dans The Post (Pentagon Papers chez nous), la lutte du Washington Post pour se libérer des pressions de l’état faisait des années 60 un miroir de notre époque. Avec Ready Player One, Spielberg a la démarche symétrique et se penche sur l’avenir pour disséquer le présent. Le projet d’adaptation du roman d’Ernest Cline avait pourtant de quoi inquiéter. L’ouvrage a fait sa réputation sur une avalanche de références, clins d’œil appuyés et listes interminables de noms lâchés comme une perruque sur la soupe. Une matière littéraire qui faisait craindre le pire : Steven Spielberg, à qui l’ont doit tout un pan de la pop-culture et de l’imaginaire des 80’s… Naviguerait-il à son tour dans le courant de la nostalgie ? Le même courant qui charrie autant Stranger Things que Star Wars VII, et qui déverse dans les salles des kilomètres de reboot à ne plus savoir quoi en dire ?
Synopsis :
2045. Le monde est au bord du chaos. Les êtres humains se réfugient dans l’OASIS, univers virtuel mis au point par le brillant et excentrique James Halliday (Mark Rylance). Avant de disparaître, celui-ci a décidé de léguer son immense fortune à quiconque découvrira l’œuf de Pâques numérique qu’il a pris soin de dissimuler dans l’OASIS. L’appât du gain provoque une compétition planétaire. Mais lorsqu’un jeune garçon, Wade Watts (Tye Sheridan), qui n’a pourtant pas le profil d’un héros, décide de participer à la chasse au trésor, il est plongé dans un monde parallèle à la fois mystérieux et inquiétant…
Critique :
« Ready Player One est un grand film. Mais pour l’aimer, comme le créateur de l’OASIS, comme Steven Spielberg, il faut n’avoir rien cédé de son émerveillement. »
2011 – En adaptant les aventures de Tintin dans « Le Secret de la Licorne », Steven Spielberg s’essayait sur la durée d’1h40 à un procédé déjà enrichi par ses camarades Robert Zemeckis (Le Pôle Express, Beowulf et Scrooge) ou James Cameron (Avatar). La Performance Capture est souvent confondue avec la « Motion Capture », un ancêtre capable d’enregistrer les mouvements du corps d’un acteur à l’aide de capteurs infrarouges. A la différence de la Performance Capture, elle ne concernait ni le visage, ni les mains. Et Gollum, son plus célèbre représentant, doit ainsi ses mimiques au travail manuel d’animateurs. Dix ans plus tard, c’est bien la Performance Capture qui permet à Andy Serkis de prêter aussi ses expressions au hobbit décharné.
Mais tout l’intérêt de la Performance Capture réside aussi et surtout dans la liberté de mise en scène qu’elle offre. On place les acteurs, bardés de capteurs dans un espace, « le Volume », que l’on inonde de rayons infrarouges. L’ordinateur « capte » intégralement la séquence jouée par les acteurs. D’une traite, sans interruption, risques de pluie, retouche maquillage, soucis logistiques ou techniques. En 40 minutes, une séquence est bouclée, improvisée et répétée, là où il faudrait une journée complète pour y parvenir en prise de vue réelle. Un acteur de 20 ans peut incarner un vieillard. Tom Hanks peut devenir un Alien, un enfant, ou les deux. La caméra s’efface, cadre des mouvements impossibles, comme le plan-séquence au Maroc de Tintin. Croisant les pratiques du théâtre, de l’animation et du film traditionnel, la performance capture permet un cinéma inédit.
Au point qu’on lui donne parfois le nom de « Cinéma Virtuel » pour le potentiel qu’elle laisse entendre. Et 7 ans après Tintin, ce « cinéma virtuel » est au cœur symbolique de Ready Player One.
James Cameron utilisait les « Avatar » pour nous faire passer du cinéma traditionnel au cinéma de demain, emmener avec lui les grands mythes de l’humanité et préserver leurs enseignements. Steven Spielberg a une autre ambition : ses « avatars » sont ceux de la virtualité qui nous entoure, de la fiction qui nous inspire. Ce sont les avatars de l’OASIS, monde virtuel au cœur du film. « Chacun peut être ce qu’il veut », précise Parzival, le héros, alors qu’il décrit ce jeu où Batman côtoie King Kong. Parzival est l’avatar de Wade Watts, jeune américain qui vit dans un gigantesque bidonville. Car l’OASIS est surtout un refuge pour les humains de 2035 face à la réalité du monde. Le spectateur de 2018 se reconnait vite dans le jeu d’anticipation.
Dans la légende Arthurienne, Parzival/Perceval est le chevalier en quête du Graal, comme Indiana Jones en son temps. Wade Watts n’est pas, comme l’aventurier, à la recherche d’un père, mais d’un but à sa quête. Une grille de lecture du monde, pour savoir quoi faire ensuite.
Car c’est bien d’avenir dont il s’agit. Quand le film se sert de nostalgie, c’est pour aborder la pop-culture comme un matériau à modeler. Un objet nourri par toutes les époques et tous les pays, qui n’appartient à personne mais que tout le monde revendique… ou voudrait s’approprier. A qui appartient encore la culture pop ? Peut-elle encore nous rapprocher ? Sommes-nous des iconoclastes ou avons-nous faim de sacré ? Pour chercher ses réponses, Spielberg saute dans le baril de cambouis à pieds joints. Sa radicalité mettra certainement en colère. Ses idées dégoûteront ou amuserons, elles méritent en tout cas d’être découvertes à l’aveugle. C’est tout l’enjeu du film : mettre le spectateur face à l’époque.
D’où une direction artistique marquée par l’idée du mash-up. Les personnages de Ready Player One sortent d’un jeu vidéo, d’un manga, de comics ou de clips cultes… Tout à la fois. Ils n’obéissent à aucune « logique » de design, et la photographie criarde de Janusz Kaminski inonde l’écran. On est à la frontière entre abstrait et figuratif. Surtout que la performance capture ne se veut pas réaliste, elle doit accentuer la virtualité, le pouvoir du fictif. La démarche est cohérente, c’est certain. Mais elle risque de laisser sur la touche. Les références sont nombreuses, parfois pointues. Elles n’alourdissent pas le récit, mais le privent peut-être de parler à tous. Même constat face au temps passé dans l’OASIS, contre celui consacré au réel.
Ready Player One est un grand film. Il faut peut-être un peu d’optimisme pour penser qu’il est universel. Et un peu d’humanisme pour croire, comme son auteur, que l’humanité fera corps pour vaincre l’oppression. Mais il faut surtout pour l’aimer, comme le créateur de l’OASIS, comme Steven Spielberg, n’avoir rien cédé de son émerveillement.
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