[Critique sans spoiler]
Une partie de la critique attribue les succès répétés des productions Marvel Studios à l’application d’une « formule » miracle, ou « Formule Marvel » dont on dessine pourtant mal les contours. Humour, récit d’héroïsme et concentré d’action… Derrière ces imprécisions se cache en fait une hypothèse bien précise : celle d’un « business plan » Marvel, et de la main de fer avec laquelle serait géré le studio californien. Un studio où l’on n’aimerait dans les coulisses ni les acteurs (Terrence Howard, Edward Norton), ni les auteurs (Edgar Wright). Pratique, cette grille de lecture justifie autant les échecs créatifs de la firme (Thor 2, Avengers : L’ère d’Ultron…) que ses réussites (Les Gardiens de la Galaxie, Black Panther). Et voudrait dénoncer des produits de commande, calibrés et exécutés sans passion, sans amour pour leurs personnages, et sans volonté de raconter une histoire.
Pour autant, après 10 ans de records économiques et d’engouement planétaire, arrive Avengers : Infinity War, 3ème long-métrage des frères Russo pour la firme, et triple défi : célébrer cet anniversaire en grande pompe, refermer une page de l’histoire du studio, et ouvrir la prochaine. Mission accomplie ?
Synopsis :
AVENGERS : INFINITY WAR met en scène le plus grand duel de tous les temps, dans une aventure épique à la confluence des différents univers Marvel. Les Avengers et leurs alliés devront être prêts à tout sacrifier pour neutraliser le redoutable Thanos avant que son attaque éclair ne conduise à la destruction complète de l’univers.
Critique :
«Efficace, la mise en scène des Russo évite de dupliquer les cases de comics, mais manque parfois d’envergure.»
L’ambition d’Avengers – Infinity War est annoncée dès l’affiche du film : rassembler, sur le mode du cross-over des comics papier, 10 ans de longs-métrages Marvel et leurs héros. Mais Kevin Feige, boss du studio, a déjà réussi son pari : cet imaginaire du mash-up, et ce fantasme de lecteur ne sont plus inédits à l’écran, même chez la concurrence. King Kong affrontera Godzilla. Dr Jekyll a croisé la Momie. Les mères de Batman et Superman ont le même prénom. Avengers (2012) concrétisait déjà cette collision d’univers en ménageant l’effet de surprise.
Six ans plus tard, Avengers : Infinity War n’est pas improbable, et donc moins savoureux. Pourtant, le film digère les comics et leur langage comme peu d’autres avant lui. La narration est éclatée. La rythmique de l’urgence, celle du « Et après ? » semblent sortir des pages. L’action est frénétique, chargée. Les dialogues enchainent les punchlines et les tirades métaphysiques sur la valeur de l’Humain… Ce sont les comics Marvel, dans ce qu’ils sont et font profondément, qui prennent vie. Leur tempo, leurs maladresses, leur générosité comme leur outrance. Mais en 10 ans, l’imaginaire collectif a changé. Et ce trait d’union entre pages et grand écran, jouissif pour les uns, fatiguera (encore un peu plus) les autres.
Efficace, la mise en scène des Russo évite de dupliquer les cases de comics, mais manque parfois d’envergure. En premier, il faut saluer leur maîtrise du ton : on passe très facilement du rire au cauchemar, dont certaines images qui marqueront les fans. Saluer aussi leur direction d’acteurs, capitale dans la cohérence de l’univers Marvel. Ici, la galerie de comédien est épatante : qu’ils soient investis, s’éclatent ou nous émeuvent (Chris Pratt, Tom Holland), la cohésion de l’équipe ne fait aucun doute. Et même le monolithique Thanos peut compter sur le jeu nuancé de Josh Brolin.
Heureusement, car on comprend (et regrette) vite que la trentaine de personnages se débat au milieu d’une intrigue qui n’est qu’un prétexte. Que les ressorts éculés de l’armée anonyme et des morts temporaires ne cachent… rien d’autre. Qu’il sera difficile de s’intéresser à un récit aussi morcelé. Et qu’il faudra attendre un an pour saisir le sous-texte et ce qu’il nous dit sur la valeur du sacrifice. Attendre… Encore.
Si l’existence d’une formule spécifique à Marvel reste à prouver, c’est bien des comics, matériau fondateur, que se réclame Avengers : Infinity War. Cet amour fait qu’on y retrouve le même sens du déluge visuel, du grandiloquent, du suspense… et la même inconséquence. Dépassés, assommants ou jouissifs ? Si les comics Marvel nous épuisent, ils sont, eux, visiblement au meilleur de leur forme.
Pas de commentaire