On rattache souvent un peu vite l’idée de folie au cinéma de Quentin Dupieux, voire parfois même à Quentin Dupieux, tout court.
Ses longs-métrages à contre-sens des conventions narratives explorent en effet les limites du récit dans la droite lignée de Dada, de l’absurde et du surréalisme. En ce sens, sa filmographie a pu aider à dresser de lui un portrait de plaisantin gentiment barré…
Portrait, qu’accentue en prime le pendant musical de sa carrière. Mais on aurait tort de le réduire lui et son artisanat, en lui prêtant par la même occasion une certaine gratuité dans l’intention. Et le très attendu Le Daim, son 8ème film, pourrait bien être celui qui élargisse enfin les perspectives.
Synopsis :
Georges, 44 ans, et son blouson, 100% daim, ont un projet.
Critique :
« Le mimétisme Dujardin-Dupieux infuse pleinement le film. »
Au départ, il y a ce pitch intrigant : « Georges, 44 ans, et son blouson 100% Daim ont un projet ». Georges, c’est Jean Dujardin, parfaitement habité par ce barbu quadra qui envoie tout en l’air et part dans les Pyrénées trouver la perle rare. Ce veston en cuir brun à franges va devenir à force de conversations solitaires l’extension de l’ego de Georges. Mais surprise ! Avec le Daim, on offre aussi à Georges une caméra numérique. La note d’intention est posée. Le personnage vire à l’obsession… Et le film devient un jeu de miroir entre son auteur et son interprète.
Le mimétisme Dujardin-Dupieux infuse pleinement le film. Georges cherche sa légitimité d’artiste en même temps qu’il rejette toute règle, tout carcan créatif. Il envoie balader quiconque ne le prend pas au sérieux. Plus tard il affirme être parti tourner seul, sans équipe. Son “projet” résonne en fait comme un manifeste du metteur-en-scène : il y revendique l’amateurisme et la joie primaire de créer sans vouloir plaire à d’autres qu’à soi.
Pour cela Dupieux convoque d’ailleurs les codes du slasher, genre qu’il adore et auquel il rendait déjà hommage avec Rubber. La pulsion meurtrière qui guide son héros est en fait avant tout cinéphile. C’est celle d’un adolescent qui ne s’est jamais laissé contaminer par l’élitisme et la bienséance, et pour qui Les Griffes de la Nuit ou Massacre à la Tronçonneuse restent des films de chevet. En somme c’est le prolongement d’une démarche : retrouver quelque chose de pulsionnel, de spontané, primitif voire animal, qu’on aurait peur de perdre avec l’âge et l’expérience. En un sens, moins Dada que Picasso.
Le Daim profite aussi des dialogues sur-mesure de leur auteur pour le duo Jean Dujardin-Adèle Haenel. On y retrouve les échanges chaotiques qui ont fait le sel d’Au Poste ou de Wrong. Le récit est donc plus que jamais rythmé par l’irruption soudaine du quotidien dans la fiction. Un distributeur bancaire typiquement français ou un écran de télévision vétuste attirent le regard. La prise de son très organique nous plonge un peu plus dans la psyché de Georges/Quentin. Et l’on finit par épouser sa perception d’artiste total, alerte à tous les détails, comme un daim en pleine forêt.
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